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vendredi, août 31, 2007

it's raining cicadas

"Much harbors in trivialities". Tour du propriétaire, tour du monde, tour de force -discret-, American Genius est le cinquième roman de Lynne Tillman, discret moteur de la fiction américaine qui fouille et invente (le premier pour moi, Haunted Houses trépigne dans la pile), cheveux hirsutes et pupilles noires comme celles d'Elfriede Jelinek, et c'est une tranche épaisse de monologue intérieur, une grosse tentative, avide de contemporainéité, de faire rentrer un monde entier dans une journée, une "institution" (un hôpital de jour, asile soft), et ce qui circule à la surface d'un esprit, une voix, un personnage. "Elle", focale obsessionnelle, compulsive, anxieuse, anhédone et diablement crédible, a une peau fragile, apprend des mots de Zulu, a des affaires en cours à régler avec une mère folle et un père trépassé, un raffinement exceptionnel en matière de chaises design Eames, comprend mieux le monde que vous ou moi, et sa lucidité, supérieure, la supplicie jusqu'à la pousser du centre de la société jusqu'à ses périphéries emmêlées. "Elle" admire son esthéticienne polonaise, ses camarades de la marge (un Kafkaïcien, un compte déchu, sa Contesa, des anonymes), et le monde comme elle le voit cahote au ralenti dans le tissu minuscule des mailles, grossies par l'ennui, le vide et le délitement, de la matière du quotidien, s'apesantit sur le détail abyssal du petit déjeuner, des draps rendus anonymes par l'odeur de la lessive, un feu dans le foyer de la chambre, par comment remplir le laps temporel infini qui sépare le déjeuner du dîner, là où le flot de l'empirique permet à l'esprit de faire sens des petites vanités qui l'entourent et le submergent. Comme "elle" le dit, l'analyse elle-même,
Memory revamps itself. The temporary is contemporary, flowing in the veins, though humans behave as if permanence beat steadily in every transaction and feeling, in imaginary edifices of lifelong connections, inspired and conceived to deny their limited lifespans. (158)
Monologue héliocentré moins typique qu'il n'y paraît, le texte, d'un seul flot, avance en spirale, fouillant dans la toile des synapses, excitant les liens et les liants par la divagation, les allers-et-venues d'occurences-chorus (Leslie Van Houten, les maladies de peau, les matières, des chiens et des chats de l'enfance, les chaises, la nourriture, la polonaise, ses précédentes), des petits motifs rythmiques plutôt lents, réguliers, tranquilles, presque analytiques, quand l'écriture, sans démonstration tapageuse, demeure à tout moment étonnamment claire, distincte, lumineuse, précise. Loin de s'embourber dans les tours et détours du déroulement de l'esprit de sa persona obsessionnelle, Tillmann, control-freak éblouissante en pleine possession de moyens précieux, opère en grandes lignes claires, étirées, à joindre ou à déjoindre selon les moments de la journée, et provoque l'épaisseur à l'horizontal, dans la longueur de la lecture, les digressions que se bouclent, les périodicités qui nouent les réseaux autours des clusters d'obssession et de souvenirs rameutés sans flou plutôt que par un chaos artificiel d'idées emmêlées à pénétrer, puis, fatalement, à recomposer. Un grossissement par fluxes et refluxes, en quelque sorte, lumineux, décodage, aplatissement, organigrammage en temps réel d'un cerveau plutôt que calque cognitif ("cor(e)tex(t)", pour citer le Cognitive Fictions de Joseph Tabbi, qui s'intéresse soit dit en passant à deux romans antérieurs de Tillman) d'un personnage prisme qui en dit beaucoup sur la peau, thema horizon (le livre devait, à une époque, s'appeller American Skin, et Matthew Sharpe décrypte le livre en expliquant que Tillman fait faire à la peau ce que Melville faisait faire aux bateaux, "contenir des multitudes"), mais aussi, bien entendu, l'amérique, les dames et les filles, un amas linéaire de vues gigotantes, lucides, très douloureuses sur le destin des corps et des âmes dans la folie de l'helioself vaniteux, chichiteux de notre sordide, égocentrique condition, et, plus banalement, la quête de sens et de permanence dans le transitionnel du contemporain, les synapses, sur la page, de l'époque:

The brand of jeans that the odd inquisitive woman wears could have meaning, since everything means something, even if it is not anything much, negligible, or hardly worth mentioning, and, even though interpretations change and often meanings are temporary, especially those about a brand, her jeans still affect my relationship to her, since much harbors in trivialities, though not as much as in profound words and acts, whose significance can also be debated and more likely is. (154)

mercredi, août 29, 2007

it is a tendency written into the very structure of matter



Sur du papier journal. Shelley Jackson est née aux Philippines en 1963, elle a un très beau nom sûrement moins accidentel qu'il n'y paraît. Elle a été mariée une décade à Jonathan Lethem, elle a étudié avec Robert Coover, elle a le mot "skin" tatoué sur l'envers du poignet. Elle dessine pour ses enfants, pour illustrer ses livres et ceux des autres, elle écrit pour ses enfants, aussi pour ceux des autres, sur le papier, dans l'éther des uns et des zéros, sur la peau de 2095 volontaires, et son premier livre, Patchwork Girl, n'en est pas un, puisqu'il étend simultanément, dans les liens infinis de son hypertexte storyspace©, le monstre de chair de Mary Shelley et la meuf de guenilles de L. Frank Baum (papa Oz). Sur son site grouillant, elle parle sur de la musique trop aimable. Elle aime Tristram Shandy, "Motorman" de David Ohle, Flann O'Brien, Djuna Barnes, les Moomins, elle dit s'être tourné vers l'hypertexte parce que son esprit "ne voyage pas en lignes droites, et que (ses) histoires non-plus", mais, c'est une évidence, ça ne saurait expliquer l'étrangeté totale, brûlante, de son oeuvre rampante, follicule, désarticulée, dont je n'ai pu que renifler les prémisses imprimés, ici, son recueil hyperdense Melancholy of Anatomy (et, ici aussi, bientôt, son premier roman de papier, Half Life). Elle explique, "dans The Anatomy of Melancholy, Robert Burton tente l'anatomie d'une condition spirituelle. Dans The Melancholy of Anatomy, j'essaye de faire le contraire: spiritualiser l'anatomie", et aussi, "le corps est l'objet magnétique originel, il possède à la fois une physicalité guindée, et une vie métaphorique, et généralement, on passe de l'une à l'autre sans y penser", mais ce n'est pas encore assez pour décrire, expliquer, situer ce que fait la lecture des objets littéraires de ce livre important, sur la tête, sur le langage, sur l'imaginaire: de la chirurgie contre-nature, de la génétique immonde, de la métastasie, de la magie pure (on ne ment pas, Jackson a illustré le Magic for Beginners de Kelly Link ) où le réseau des imaginaires, des associations d'idées, des métaphores qui font le tissus notionnel des objets du corps (cheveu, nerf, sang, sperme, oeuf), mais aussi ceux qui le pénètrent (vibro), le dévorent (cancer), le précèdent, l'habille (flegme), le nourrissent (lait), le reposent (sommeil), s'emmêle et fait s'écrouler le réel comme un château de cartes.

Il existe, il me semble, un précédent important, Ben Marcus, The Age of Wire and String d'abord, Notable American Women ensuite (il y a lien en croix, par holy Ohle), et j'avais évoqué l'année dernière pour le travail (Chronicart#31), à la parution de la traduction de ce dernier, "une mise en péril du langage tout entier (...) à l’œuvre dans l'écriture (de ce) véritable inventeur lexicologique qui use et abuse des mots pour faire vaciller jusqu’à la distinction entre certains signifiants et signifiés. Rigoriste et virtuose, Marcus fait tenir ses mécaniques casse-tête impossibles à se signifier - comme le Big Bang, l’inimaginable selon Marcus n’a de sens que pour le lecteur quand ce dernier est collé au texte – dans de fastidieuses descriptions glacées, folles à lier, et pourtant rendues totalement plausibles par la grâce d’une langue à laquelle rien ne semble impossible. Obsédé par la bouche, appareil oratoire, orifice d’ingestion, il confond mots et nourriture physique, langage et bruit, le palais, le ventre et les poumons et les armes à feu. Le langage est le matériau magique d’une formidable invention de récit, à la fois abstraite, théorique, et complètement incarnée et plausible" mais Jackson procède autrement, moins librement peut-être, puisqu'elle manipule, découpe, mute et greffe, tout de même, des résidus de métaphores gigotantes, puissantes, avant d'observer les effets sur les contextes qui en souffrent les cruelles conséquences, et les histoires qui y naissent (il n'y a pas que des propositions scientifiques, à l'instar de "Milk", qui s'insérerait sans problème dans les définitions de l'Age of Wire and String, il me semble, il y a des coeurs qui battent, des noms, des personnages qui oeuvrent ici).

On parlerait, si on avait des références, évidemment de réalisme magique, mais on en a peu, on fera donc bêtement le tour: les coeurs, "dirigeables sombres", s'étendent comme des trous noirs, exhalant des lumières invisibles, le sang s'écoule en déluges menstruels du corps de la ville de Londres (et des égouttières tampons Tampx deviennent des héroïnes improbables), les foetus forment une peuplade inespérée qui sauve des hameaux misérables de leurs sordides historiettes, le flegme est une substance aqueuse extractible des corps, empaquetable et recherchée, et s'il faut du temps pour reprendre son souffle à chaque in medias res qui nous lance dans le tissu mutant de chaque histoire, Jackson développe ses dérivés de réel avec une maestria de langue, de vista, tout à fait saisissante de précision, enroulant, la tête froide, dans des midtempi possédés, mots rares, poussés, précieux, délicieux, exposant la redoutable fantaisie, possédée à pleines mains, en rêves clairs, brillants, décrits juste sous l'oeil, soupesés avant manipulation,

The electrician and I go to bed again. We toil, and produce a scant dram of goo, a sorry gob. We start to play with it. It gets all over me. ("Phlegm", 105)


et la fantaisie sans gond, sans contexte, sans horizon-limite, devient juste échappée sauvage, à suivre sans a priori d'effets de réel, quand les mots et les idées, comme chez Marcus, sont vidés, suçotés de leurs signifiés, extraits des nuages de notions qui sont leur territoire, pour être mâchés, remâchés, recrachés en bouillie brûlante, puis redistribués, remélangés, tordus, reformés dans des surréels hyperdenses, hyper étranges, autosuffisants, métaphores en dérivation d'elles-mêmes, peu aimables, et je pense à cette nouvelle très aimable d'Aimee Bender, "Dearth",dans Willful Creatures, où une femme adopte plutôt malgré elle des patates-enfants, mais la fantaisie était pure métaphore, drôlatique puis dramatique, germe d'émotion à épanouir dans les dernières lignes, forcément chavirantes, bien intentionnées, un grand sujet à excaver d'entre les lignes, quand la fantaisie de Jackson ne reflète rien sans le modifier, ou plutôt, ne s'insère dans rien, car elle n'a besoin d'aucun mythe pour respirer et faire tourner, dans le vide, les synapses. Un exemple, un seul,

Sleep sometimes coagulates in the shapes of animals: bruin and bunny are the most common, though I have seen sheep and cows as well. These form naturally, like snowflakes. Under favorable conditions these sleep-sheep "stalk the earth", the colloquial term for wafting or "mere wafting", as O'Sullivan pointedly calls it, eschewing what he call "the credulous jargon of simpletons and charlatans." He is practically alone in his refusal to see familiar forms in sleep, of course. Animalcules take shape in every substance known to us; it is a tendency written into the very structure of matter, a statistically significant swerve toward animaloid structures, especially cute ones. The universe, we now know, is far from that chill mechanical model so unaccountably adored by physicist past. The world that gave rise to feathers, pill bugs, cookies, and whales is silly, showy, comfy. Above all, it is kind". ("Sleep", 128)
qui ne suffira pas à faire vibrer les bonnes cordes, allez voir ce que la tête et l'épée peuvent faire dans les bonnes pages et les bons interstices. Je crois, à cet effet, que la traduction en français, au Lot 49, est imminente.

dimanche, août 26, 2007

fly toward Grace (Paley)


Cet été, dans un brouhaha un peu mou d'intentions très très prévisibles (Sam Lipsyte, huh, Simon Ings, blah, Stephen Wright, tout de même, heu, hein) j'ai surtout été ébahi par des dames cruelles - Lydia Millet (Everyone's Pretty), Lynne Tillman, Shelley Jackson (dont je tremble à l'idée même de vous rapporter quelque chose de pertinent, car la claque fut douloureuse, par la tête, par le ventre, j'ai été juste sauvé de justesse par une ostéopathe qui lui ressemblait un peu), et je rentre pour apprendre qu'une marraine s'est fait la malle le 22 août?



au travail.

pancreas carillon

Toutes ces semaines, j'aimerais pouvoir les résumer, un événement, un percussionniste, il s'appelle Rainer Römer et, de dos, il est blond, qui martèle, doucement, infiniment doucement, un grand gong Paiste, le logo qui défigure sa belle étendue en cuivre mutique, il trône dans une belle petite église baroque, la Kollegienkirche, sur la petite place du marché de Salzburg, sous des grands panneaux de plastique, au fond de la scène, le percussionniste amène un long silence embarrassant (une jeune femme endimanchée glousse, évidemment, le rang juste devant) avant de lancer son petit assaut, un martèlement doux, donc, qui emplit l'espace en doux reflux quantiques, une mousse de bruit qui remplit par vaguelettes agréables, un bruit plaisant pour se nettoyer les oreilles, pour apaiser les esprits brûlants, calmer les ardeurs adamantines des riches festivaliers, et puis, dans la longueur certaine, une petite panique par le milieu de notre endurance en même temps que les coups sur le gong s'intensifient sans accélérer, la pulsation est nourrie dans la constance, combien de temps ça va durer, combien de temps le tympan va-t-il apprécier le petit sort infligé avant de lancer la sirène, une petite douleur qui naît au dedans, on cherche le silence à tâtons, on panique un peu d'une issue abrupte, dans quel état elle nous laisserait, on compte tous sur le petit percussionniste pour nous ramener à bon port, amoindrir son effort, en douceur, atterrir la petite communion acoustique, le petit cénacle de bruit rameuté de l'audience, on retient son souffle, le percussionniste dirige ses marteaux vers l'extérieur du gong en même temps qu'il amaigrit l'effort, on revient vers le silence, les nuages se disloquent, la partition de James Tenney, suiviste, copiteur haletant mais brillant, nous dira plus tard qu'on est passé de "pppp"à "ffff" et qu'on revenu à "pppp" avant de revenir au silence puis à l'orchestre, aux vagues de cordes qui baisent avec la réverbération de l'église, à l'ébouriffant Concerto pour violoncelle et orchestre de Ligeti (66, or pur), de la musique en vérité, mais j'aimerais tout ramener, les milliers de page et les maladies, à ce doux moment de douce panique là, une seule note qui amène à l'infini du spectre, oreille totale, et à aucune, ouverture éblouissante vers le monde merveilleux de l'intervalle, de l'entre-deux notes, la ballade autour du ton, le vertige permanent, horizon mal-au-coeur, Grisey (laissez moi le temps d'y comprendre quelque chose d'autre que le tremblement) et, on y reviendra jusqu'à la fin des temps, Scelsi, puisque c'est à lui qu'on voulait rendre hommage;

de toutes façons, pour le travail et pour l'obsession, je n'ai écouté que Matthew Bower, cet été, à la montagne, tout Sunroof! encore une fois, mais aussi les premiers Skullflower, je ne connaissais pas, et les deux Total, ébahi comme au premier jour de ses hyperdensités, de sa surconscience immense de la verticalité, du faux statique, du beau par le plein, il m'a écrit qu'il aimait surtout le label Norma Evangelium Diaboli en ce moment, et ça m'a fait bien plaisir parce que c'était très prévisible et complètement innatendu en même temps, et un peu Prince, tout le reste est ressorti de l'autre côté











en parlant d'intervalle, je vous prépare à la suite, allez faire, je vous prie, un tour là où il se passe des choses qui comptent

mercredi, août 01, 2007

heck! a tomb!


je suis malade comme un animal, mais il y a pire alors je vous mets encore une fois



son visage,

et un bout de film