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vendredi, janvier 30, 2009

Sing with Sinn, sing with Ros


&

jeudi, janvier 22, 2009

"lobbying for the special interest known as the truth" - sur Evan Dara


Rappel des faits :

Selon ceux validés par sa biographie officielle (trois lignes), Evan Dara est un jeune auteur américain, résident à Paris* ; son premier roman, The Lost Scrapbook, fut publié par la formidable coopérative autogérée FC2 après avoir été consacré vainqueur du douzième FC2/Illinois State University National Fiction Competition par un jury présidé par William T. Vollmann (en 1994, j’crois) ; il fut aussi adoubé par Richard Powers (« author of the Goldbug Variations », wink wink), qui écrivit à son sujet que « Dara démontre qu’un roman peut être à la fois expérimental, moral, iconoclaste et émouvant, post-humaniste tout en restant profondément humain (…), monumental, impitoyable, rusé et sincère, il n’abandonne personne sur le bas-côté de la route, le lecteur en premier lieu » et son exaltation était plus juste que la raison ; Powers y avait peut-être entendu, dans la catastrophe environnementale qui animait sa deuxième moitié, un écho de son chef d’oeuvre Gain via la polyphonie d’une vox populi remarquable de réalisme aural et idéologique ; mais c’est par la forme que Dara accomplissait le prodige; son très, très bruyant roman revenait en effet au monstrueux JR de William Gaddis - cette montagne de déchets informationnels qui répondait à l’inflation des mots et des bidules dans l’air, dans les conduits, dans les ondes, dans les nouvelles sur les bouts de papier volant par le tressaillement formel le plus violent et le plus pertinent de son temps – avec une invention sans nom et une maîtrise inespérée ; de fait, Dara, génial d’outrecuidance, reprenait en gros toutes les grandes problématiques du post-modernisme américain canal historique (entropie informationnelle, jongleries autoréflexives, perdition) pour figurer en métaphores et formes reverdies son roman d’anecdotes emmêlées et ne se paumait presque jamais. Enfin, c’était un roman très fougueux sur la jeunesse, aussi, qui parlait par ses mots et en son nom sans jamais vouloir lui faire faire sens sur sa place dans la grosse société, et c’était si saisissant que je ne crois pas avoir lu depuis de livre qui fasse mieux exister des jeunes dans son sein depuis (le discrètement radical Project X de Jim Shepard, lu tout, tout récemment, s’en approche quand même tout près).

J’avais noté quelques descriptions des scènes folles qui font sa première moitié en le relisant, je vous les livre dans l’ordre du livre :

On revendique son droit à s’extasier devant un dessin de Escher ou d’un vase de Rubin et on compare les champs de coton à une toile de Mondrian

Un garçon tente la vérification de son existence au-delà du monde des fantômes en s’en retournant chez lui ; chez lui, il constate malheureusement que personne n’a joué sa vie à sa place en son absence

Des garçons tournent un film avec des lucioles, l’un d’entre eux est obsédé par les Variations de la Valse de Diabelli et les contributions de Schubert, Liszt et surtout Beethoven qui en composa pas moins de 33

Un enfant quitte son père parce que son père ne lui a pas acheté le modèle de batterie qu’il lui avait commandé, et réalise des films d’animation sur la méiose et la mitose

On raconte les premiers jours de la Radio

On cause, on cause, des alinéas marquent les pauses, les rassemblements

On évoque la nature périssable du visage, sa résilience à la lumière

On apprécie un livre vivant, une encyclopédie de sa propre vie qui ne cesse de grossir, de s’épaissir comme on respire

On dit des choses importantes à la page 60 (« I mean, by now, we’re all well-versed in the inadequacy of language, so to speak, but I never feel this so forcefully as when I try to come up with some means of verbalizing the utter, total, and appaled revulsion anf subdisgust I feel at what has become of our political process »)

Comme dans tous les manifestes POMO on investit par le langage cette étrange issue vers laquelle tout convergerait, dont le dévoilement est sans cesse repoussé par nos efforts parasites

On rêve de former le parti de la Majorité Silencieuse, « The Negative Ones »

On s’interrompt, on est interrompu, on interrompt les autres et ça fait naître des exceptions langagières et typographiques comme chez Gaddis, comme chez Arno Schmidt (voire des nouveaux symboles, comme ces tirets exagérément longs)

On parle directement dans la tête des autres

On a lu son précis Deleuze &Guattari, on déracine :

… I have rooted you out…

On fait des speech à la radio et on fait semblant de n’avoir qu’un interlocuteur, VOUS

On s’organise en causant, contre la publicité et conte l’I.N.J.U.S.T.I.C.E, ça fait pousser des « métastases d’indignité »

Une entreprise prisée associée à XEROX prévoit générer de l’énergie à partir des oripeaux jugés inutiles par la L.I.T.T.E.R.A.T.U.R.E (le 19ème siècle français) de la langue, via un système basé sur la technologie géothermale existante, « For the first time we will be able to put inattention, incomprehension, and indifference to productivre use… (…) … For instance, we envision a time when a brief chat about car-pooling will power a wind-style exhaust fan for as long as four hours »

On mène une étrange quête sur la route, un walkman K7 sur les oreilles, à la recherche d’un acouphène très bavard dans l’oreille qu’on fantasme en signal radio, signal radio bientôt muté en audioguide métalangagier comme le protagoniste produit la narration du récit en cours ; de fait, ce voyageur en quête du signal se trouve bientôt parler - penser exactement à l’unisson avec lui ; de fait, c’est certainement lui qui le produit et qui l’énonce, et c’est un moment assez phénoménal dans la littérature qui survient à ce moment précis du roman :

… But that was not at all…

…For not very long thereafter…

… after perhaps an additional hour of glissading down the Interstate..

… and puttng several more tiny, rattletrap towns past me…

… I found that, to my slight surprise…

… I had, at some point…

… begun to talk along with my signal…

… That is, actually to recite, from memory, what I was hearing…

… in perfect mimetic synchronization…

… regardless of what I was seeing through my open windows

le voilà qui s’écoute penser, avant de s’enfoncer dans une forêt sauvage d’indécision pour se retrouver

On retrouve des champignons qui ressemblent à John Cage (et l’on sait quel cas immense ce gros mycophile de Cage faisait des champignons dans sa vie et ses Journaux, n’aimant rien tant d’autre que les cueillir puis les manger) ou à William Demarest

On rencontre des hommes des bois dans les bois, ennemis du monothéisme

On se perd dans cette forêt parce que les lieux n’y ont pas d’existence individuelle (comme sur la Route, m’avait glissé un jour un ami à propos du rôle de cette dernière dans les films de David Lynch) parce que leur différenciation est rendue impossible par la végétation : « trees and indifferentation », c'est écrit en toutes lettres

On va voir un gars qui s’appelle Ken jouer son dernier show, qui tourne mal parce qu’un homme voudrait vider son corps de son sang sur la scène

On parle d’arbres et de Chomsky, c’est un livre politique, mais pas parce qu’on y évoque Chomsky car on y évoque son travail de linguiste plutôt que son activité de polémiste

On perd ses mots, persuadés que les pensées qui nous traversent ne sont pas les nôtres

On se fait l’avocat du diable pour la cigarette en industrie et on s’emballe sur Piaget, Todorov, Eisenstein et Superman

Un adolescent s’interroge, précisément, de savoir si ses interrogations ne sont pas un peu adolescentes, et on se croirait un peu dans une nouvelle d’Adrian Tomine

On livre des muffins et on s’épanche sur le bonheur du muffin qui sort du four. Au fond du bureau de l’entreprise de muffins, un apprenti Gibbs cuit des ordures à la poêle et se désole que l’art préfère les muffins aux ordures liquéfiées (c’est une scène déconcertante)

On prétend être « the weakest link in the great chain of being »

On reçoit des lettres magiques

On baise, en détails

On communique à travers des talkie-walkie de bébé à propos d’un boulot avec Noam Chomsky, puis un bébé fait un rot de mots

On fait très souvent référence à quelques figures illustres de la musique moderne, Ives, Cage ou Harry Partch

On relit ses mémoires et on constate que 66 des individus qui y sont mentionnés sont des inconnus

Un silence coupe le livre en deux

On invite Noam Chomsky à la télévision, on le fait venir à New York, puis on annule sa participation au dernier moment

Dans un centre commercial, on écoute au walkman exactement le même morceau de muzak qui flotte au même moment dans les airs de ses galeries

Pour se remettre de la mort d’Erwin la gerbille, on se perd dans une fête foraine, on cite Antoine Doisnel, on défie la gravité sur The Spinning Tilt, on part à la recherche d’un album photo mystérieux après la mort de sa mère, quelque part à Virginia Beach

Puis CATASTROPHE, un tuyau explose à proximité d’une école, quelque chose de hardcore qui survient (« And there is hard-wired, and hard sell, and hard ball ; and hard bitten, and hard news, and hard knocks ; and there is hard data, and hardnoses and hard currency »), et la vox populi dissout les êtres ; le roman devient une charge ; un écho de The Origin of the Brunists, une réponse à Gain, un tissu de rumeurs où tous cherchent à extirper la Vérité d’un terrible événement pour faire agir la Justice, en vain, c’est l’évidence. La méditation sur la déliquescence du data dans le bruit prend alors un sens tout autrement crucial, tout autrement engagé ; rien ne peut plus se savoir et les gens en crèvent : « But the whole question is still open, if you ask me ; where are the facts?; show me some solid information ; all I hear is galloping speculation, all of it unconfirmed, and I know I’m not going to bother myself with hearsay-otherwuse, you’d see me out in Highland Park with my head shaved (…) ; despite all the scuttlebutt nothing has yet been produced – and when and if something concrete is produced I’m sure i twill serve to put the whole thing to rest », ce qui n’arrive jamais.

On y voyait assez clair à la dernière page de ce grand truc : Evan Dara était un écrivain de l’indécision, du sens liquéfié par le boucan - le SCUTTLEBUTT - et de la disparition des êtres dans les flots. Sans conclusion, le disque revenait après réclamations au Silence en l’invoquant cinq fois. Puis, treize ans après, Dara est revenu du silence : The Easy Chain, autopublié par nécessité (il codirige Aurora, la petite maison qui publie) reprend la parole presque exactement, techniques et problématiques, là où s’était tu The Lost Scrapbook : un personnage du nom de Robert Scapes, enfermé en prison, précise à la page 451 qu’il se voit en lobbyiste de la vérité :
« It was like I was a lobbyist, lobbying for the special interest known as the truth ».

Comme l’augure son titre, ce gros roman est également une chaîne de mots, et d’histoires ; comme l’expose son artwork transparent, son sujet est son personnage principal, existant en creux dans le torrent d’anecdotes, de mensonges et de fantasmes qu’on susurre, badine ou hurle à son propos (et, quelque part, à quelques rares occasions, à son attention). La parole est à la ville de Chicago, à son milieu huppé, à ceux qui ont croisé sa route ou qui se vantent de l’avoir croisée. L’éminent éminent commentateur du post-modernisme US Tom Leclair (si vous n’avez pas lu The Art of Excess, son livre sur JR, Gravity’s Rainbow, Something Happened de Heller, LETTERS de John Barth, Women and Men de McElroy et Always Coming Home de Ursula LeGuin, eh bien faites-le) vous guidera précisément à propos de ce que la forme dit sur l’intrigue, sur le Bookforum :; pour le reste, sachez que tout commence avec des mots dits, des mots et un homme déguisé en boule à facettes et que ça en dit plus long sur that guy Lincoln Selwyn (le héros, donc) que toutes les histoires sur son compte ; sachez aussi que, contrairement à la première moitié de The Lost Scrapbook, The Easy Chain adopte bel un bien un récit continu, malgré les ellipses énormes qui hachent et rythment en permanence son déroulé très singulier (à chaque retour à la ligne, ou presque), et que la myriade d’histoires qui fait son cœur se tisse depuis son intérieur, qu’il y a donc moins à s’effrayer de la diffraction que de tendre l’oreille et de se laisser aller car de complexité, il n’y a pas vraiment, il n’y a qu’une salve d’auralité et d'oralité à entendre et à suivre en toute linéarité, comme la vie ou presque;

comme l’écrit LeClair (qui a eu la chance d’échanger quelques emails avec Dara), The Easy Chain est un peu son JR à lui, en cela que son sujet est proprement et presque intégralement l’homme dans le capitalisme (ce que nie Dara, en même temps que son attachement à Gaddis qu’il dit n’avoir jamais lu – et on le croit volontiers, notre temps précédant si fort en tout le boucan de ses livres qu’il est même surprenant que les formes gadissiennes n’aient pas éclot plus souvent ailleurs) et sa dissolution dans les histoires et dans le papier ;

l’histoire tient donc sur un mouchoir sale: A) Selwyn est anglais, il a grandi aux Pays-Bas, il est médiocre et dépressif jusqu’à son arrivée à Chicago quand il devient par un amoncellement indicible d’ellipses (ce qu’il fait, qui le sait ? – en fait c’est un livre de silences au moins autant que de bruits) et avec l’aide d’une certaine Auran qui lui est vouée corps et âme, un agitateur et un petit roitelet du microcosme hyper-capitaliste et un prodige dans les yeux de ses subordonnés, dans les fêtes luxueuses, dans les bureaux de ses admirateurs, en haut des gratte-ciels comme JR le gamin de JR devient magnat du vide en s’insérant dans le chaos des conversations, des télégrammes et des appels téléphoniques des agents actifs et inactifs du capitalisme ; il agit, il émerveille, il sourit, il absorbe, il rejette, il caresse, il violente, il cherche, il souffre (d’un mal appelé skonk ou syndrôme de Zynkofsky qui le fait éternuer jusqu’à la douleur), il séduit, il travaille peut-être avec Kissinger, il cherche, il cherche sa tante et c’est la principale sous-intrigue qui subsiste en arrière-plan ; puis au bout de 200 pages d’histoires par milliers (de une ligne à 30 pages, de l’histoire prodigieuse d’un homme dont les mésaventures conjugales le condamnent à faire sans cesse l’aller et retour entre deux maisons similaires jusqu’aux meubles à une conférence sur « the exploded marginal differentiation ») et d’interférences par millions B) il disparaît ; comme résume TK/Tracy qui part à sa recherche pour le compte d’on ne sait quelle publication (elle cherche autant un publicateur que l’étoile filante de son sujet:

To hear people say it, a comet arrived in Chicago last October. It went unnoticed by Yerkes Observatory. But within weeks, the fireball known as Lincoln Selwyn would shake up, transform and indeed ignite the city’s once-creaky social sphere, breathe new life into several major businesses and civic undertakings, and blaze a trail through (). And then it dispappeared

puis, après 40 pages blanches, il réapparaît aux Pays-bas, sur les traces de sa mère devenue corps errant dans la rue, sans domicile fixe; il n’opère alors plus grand chose ; derrière lui, un cortège d’agents haineux, manifestement décidés à lui payer son succès, lui file aux basques et se paume en conjectures (on les entend parler, éructer, affabuler et c’est tout :

-So it’s all there. The thieving, the instability, the geographical mobility, the detachment, the anhedonia, the conscience – the conscience-less-ness. All the paraconsumption indices.
-… I don’t know. I don’t believe too much of that warp. I just think he’s a dick.
-A Section 18B dick.
-Yeah. Maybe.
);
finalement, dans tout ce bruit, on entend à peine Lincoln sombrer, on l’entend à peine préparer son attentat, et on entend à peine la déflagration incroyable qui conclut le livre et, fait fabuleusement étrange, arrive après le point final du livre, son dernier jour de rédaction et un encart publicitaire pour Aurora la petite maison d’édition (« First in a series. To receive further articles, please leave your name and adress, along with any contributions, at : www.aurora148.com") comme si Dara jouait à brouiller les limites entre les rumeurs dans le livre et les rumeurs du réel qui le font si singulièrement exister dans le monde des lettres, depuis la pénombre jusqu’à l’effacement ; d’autant que ladite déflagration – les derniers mots hurlés d’un détective privé que Lincoln, plus tôt dans le livre, payait pour retrouver sa tante, face audit Lincoln qui, passé dans un état de furie totale, le menace avec une arme à feu – est incroyable de violence et de radicalité et qu’elle laisse un étrange goût de métal en bouche quand on se la coltine d’une traite après avoir repris la lecture d’un livre qu’on pensait achevée dans un beau désordre irréalisé. Qu’il milite pour la vérité ou pour l’imagination (qu’il compare, à l’aise, à une forme d’allergie), The Easy Chain est un livre très singulièrement renversant.













*on n’a jamais croisé sa route

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pause






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lundi, janvier 19, 2009

無, 偶然の一致, une boule énorme

vu hier soir aux alentours de minuit, après une énième vision de ce qui doit être mon film préféré Voyage à Tokyo (ceci dit comme tout le monde je préfère, largement, le titre original, 東京物語, un conte à Tokyo), un mauvais documentaire sur les lieux où le film fut tourné et où Ozu est enterré; on y lit le kanji qui dit rien;
lu hier soir aux alentours de une heure, dans une deuxième lecture très hachée du Palais des très blanches mouffettes de Reinaldo Arenas, alors que ma mie me suppliait d'éteindre la lumière:

Alors je suis entrée à la salle de bains (Adolfina se trouvant, par chance, je ne sais où ailleurs); je me suis assise au bord de la cuvette et me suis mise à répéter "rien", "rien", "rien". Jusqu'au moment où je me suis rendu compte que c'était un mot terrible. Et j'ai continué à me le répéter: "rien", "rien", "rien", jusqu'à ce que le mot se mette à se tortiller en l'air et à me gifler à toute volée, bien que j'aie la bouche fermée. Je me cachais la bouche avec les deux mains, mais le mot me sortait par le nombril, d'entre les jambes et par le bout des cheveux. Et j'avais beau étouffer, les deux mains dans la bouche maintenant, le mot me débordait aussi bien par les fesses que par les orteils; gonflait dans ma bouche, où il faisait une boule énorme. Je gardais les mains dans la bouche. Et le mot m'arrachait les ongles, "rien", "rien", "rien"... C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que dix-sept ans est le terme de la sagesse humaine.

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lundi, janvier 05, 2009

going back to europe

pensez ce que vous voulez de sa méchanceté, de son arrogance, de ses grimaces, de son cynisme, de ses manières, de sa coiffure, de la laideur, rien ne sera enlevé à la prescience immense de ce nouveau boduf de chansons en allemand très concis parce que rien n'y est critiquable et rien n'en sera écarté; LIEDGUT est la plus belle, la plus émouvante chose électronique que j'ai entendu depuis 3000 jours, et tout le reste lui court déjà après. Vous me demanderez, qu'y entend on? Je viens de l'écrire pour le travail, je dois le réécrire pour un autre et je ne veux rien trop lui voler, mais sachez déjà que c'est un disque politique, comme la potée digitale et politique qui le précède sur la liste, qui parle de pureté, mais qui en parle très différement de ce disque précédent; il en parle en s'en acocquinant, en l'organisant sans s'en faire partisan, en la trahissant sans faire semblant, c'est un disque sur l'identité, c'est un disque sur le futur, c'est un disque sur les queues d'étoiles, sur celle de Kraftwerk, sur le moment où le coeur de Kraftwerk battait le moins régulièrement et le plus fort dans le coeur d'autres hommes (entre l'énorme "Heimatklänge" et "Morgenspaziergang", à peu près) c'est un disque sur le Trautonium et l'étrange Oskar Sala (qui, c'est assez fou, avait un peu fait aimer les sinus et les ring modulator aux Nazis), c'est un disque sur l'idiotie, la vraie idiotie, celle qui détruit le monde et la biodiversité, c'est un disque sévère, c'est un disque sur le pardon, et aussi sur le non-pardon, c'est un disque qui se voudrait le dernier, je crois, car il a une manière de s'en prendre à la voix humaine qui n'est pas très aimable, qui n'a d'égal en inaimabilité en fait que l'aimabilité avec laquelle il aime et empile les bruits amis des synthétiseur ou même les bruits ennemis des téléphones portables (je pense qu'Atom™ ne déteste rien plus au monde que les téléphones portables parce qu'ils concentrent tout ou presque de notre décadence) ou plutôt, qui ne semble rien tant aimer que de faire naître une voix qui ne pourra jamais appartenir à quiconque, la voix d'un quoi-conque (et c'est un délice esthétique, d'ailleurs les plus beaux sons électroniques entendus l'année dernière donnait aussi de la voix à quelque chose d'autre qu'un homme que ça vous plaise ou non, que l'antropomorphisme craigne ou pas), c'est un disque sur la tragédie de Schubert, sur ce que vous fait Schubert, ce que qu'on a fait à Schubert, un disque sur la fin de Schubert, un disque sur la fin de l'homme et pendant que Alva Noto s'amuse à passer des lignes de code de programmes merdiques pour faire des beats (la pulsation c'est la vie dirait un mauvais DJ de garage new-yorkais) Atom™ use de son pouvoir pour chanter exactement le contraire, pour dire au revoir en quelque sorte; pour fêter ça, ce disque fabuleux, je rempile avec un présent: une transcription tronquée d'une conversation téléphonique avec Uwe Schmidt opérée l'été dernier, à propos du dernier Senor Coconut et livrée en version plus éditée encore dans le Trax du mois de septembre.

Sur ton disque précédent, tu as rendu le « Firecracker » de Martin Denny, que Yellow Magic Orchestra avait transformé en hymne disco pop, à l’univers musical dont il était issu, celui de l’exotica. Cela ressemblait à une conclusion logique du projet Señor Coconut. Pourtant, tu le ressuscites à nouveau pour ce nouvel album.
Señor Coconut ne s’arrête pas à une seule idée : la liste de possibilités est immense. Généralement, j’attends que plusieurs idées se retrouvent pour commencer à travailler sur un disque. Il s’agit moins de concept que d’un puzzle d’idées, qui s’assemblent et deviennent un univers fertile pour faire éclore des morceaux. D’ailleurs, rien n’est vraiment fixé jusqu’au moment où j’ai terminé le disque : l’impact demeure incertain jusqu’à la fin. El Baile Aleman s’est cristallisé autour d’une idée très nerd, un disque de reprises de Kraftwerk. Fiesta Songs est un album de pop latino assez classique. Et Yellow Fever est le disque le plus complexe de toute ma discographie, musicalement déjà, parce que Yellow Magic Orchestra est un groupe très sophistiqué, au niveau des compositions, bien plus que Michael Jackson ou Deep Purple, et puis parce que je souhaitais inclure des interludes, des collages... Pour «Around The World», j’ai décidé de ménager ma santé mentale, en choisissant des morceaux bien plus simples. Je voulais faire un disque de latin pop direct et me concentrer sur ses différents aspects, simplifier la sophistication, la technique, les arrangements, les niveaux d’interprétation. Je suis parti d’une liste de chansons énorme à reprendre, avec Eurythmics, qui est sur la liste depuis très longtemps, et j’ai cherché comment faire pour les combiner en un modus operandi cohérent. Un ami m’a conseillé de reprendre « Around The World », exactement en même temps que je travaillais à un remix de Les Baxter, et j’ai découvert son album « ‘Round The World with Les Baxter », et cette idée très simple m’est venue : reprendre des morceaux de différents pays, et essayer de les combiner pour faire une sorte de petit voyage. La cohérence s’est faite au fur et à mesure.

Le choix des morceaux à reprendre suit cette cohérence?
Faire est un album est une chose très complexe. Il ne s’agissait pas seulement des chansons originales, dont je peux entendre les nouvelles versions dans ma tête avant de commencer à les enregistrer, mais également de les combiner. Quelle tempo ou quel style choisir, quel chanteur inviter, combien de cha cha cha, combien de merengue : c’est un patchwork à organiser. J’ai dû abandonner quelques pistes, même si les morceaux fonctionnaient parfaitement isolés. Je voulais aussi trouver un équilibre entre les morceaux connus et les morceaux plus obscurs. Tu peux aller dans n’importe quel endroit du monde, une majorité de gens reconnaîtra Kiss dès la première note. Mais les reprises de Telex ou Yello sont connus de manière beaucoup plus localisée. Et puis, je voulais des morceaux complètement underground, qui proviennent de la première vague de musique électronique commerciale : parce que je les aime beaucoup, et parce qu’elles rétablissent un équilibre, qu’elles évitent l’écueil populiste.

C’est un geste fort : prouver que Señor Coconut est bien plus qu’une blague, qu’un gadget post-moderne.
Señor Coconut n’est pas une grosse blague, bien sûr. C’est un projet assez complexe à manier, parce qu’il se situe pile à la limite entre le clin d’œil humoristique et le sérieux, sans jamais ridiculiser aucune forme de musique. Ca va faire huit ans que je fais des disques et es tournées avec Señor Coconut, et j’ai pu remarquer presque toutes les réactions possibles et imaginables et tous les niveaux d’interprétation selon les personnes et les pays. Certains sont complètement dans le faux, comme tous ceux qui pensent que l’album de reprises de Kraftwerk est une plaisanterie. D’autres le prennent trop au sérieux. Ma seule intention était de produire de la musique excitante et agréable : faire un disque de pop sans équivoque. Toutes les autres interprétation, tous les messages sont importants et pertinents, mais ils sont secondaires.

« Around the World » avance tout de même un réseau de liens et d’intertextualités très complexe : tu joues avec tes différentes identités, tu transforme le morceau de Daft Punk en plusieurs interludes… Tout est emmêlé de manière diabolique.
Ca remonte au premier album de Señor Coconut, qui était censé être un one-shot, comme c’est souvent le cas avec mes différents projets : Señor Coconut est comme un mille-feuille d’informations, avec autant de niveaux d’interprétation et de réalité. C’est un jeu de simulations, qui s’étend sur plusieurs niveau de réalité. Qui est Atom TM ? Qui est Atom Heart ? Qui est Señor Coconut ? Beaucoup ont cru qu’il existait réellement et que je n’étais que le producteur. Tant mieux : si Señor Coconut est un artiste à part entière pour certains qui ont acheté le disque et se sont arrêtés là, c’est la meilleure chose qui pouvait arriver au projet. Et si un beau jour, en lisant les crédits sur la pochette, ils réalisent que toutes ces informations sont un peu étranges, j’ai envie de leur souhaiter « bon voyage »… C’est optionnel. C’est incroyablement arrogant de la part d’une œuvre d’art de faire de la profondeur et de la complexité des nécessités ! Le premier contact est essentiel.

Il y a quelque chose d’assez politique dans la manière dont tu combines les musiques savantes, pop, et les musiques dites mineures et souvent méprisées et méconnues, comme le mambo ou l’exotica.
Politique est un mot trop fort. Mais Señor Coconut engage des discours, effectivement. C’est comme une sorte de mise au point. Je fais des reprises, depuis « Pop Artificielle » de LB, et au début des années 90, c’était très méprisé, on disait que ça appartenait à la pop music la plus médiocre. En Allemagne, il y a tout un passif de reprises de mauvaises qualité de standards de la pop, et beaucoup de médias détestent encore Señor Coconut à cause de ça : pour eux c’est kitsch et conservateur. A mon avis, c’est un sujet beaucoup plus complexe, et c’est pour ça que je le continue. Sociologiquement, politiquement si tu veux, Señor Coconut va à l’encontre de ce qui marche, de ce qui est à la mode, de ce qui est éphémère. C’est de la pop qui n’est pas très populaire.

Les paroles de « La vida es llena de cables » (« la vie est faite de cables, il suffit des les connecter ») ressemble à une sorte de manifeste de ta manière de travailler.
Quand j’ai commencé à travailler sur l’album de Los Sampler’s, je m’imaginais ce groupe de musiciens un peu bizarres, un peu nerds, qui écrivaient des chansons latines romantiques sur des sujets nerd, comme la théorie du chaos ou les disques durs. C’était comme une mise-à-jour de l’attitude typique du musicien latin. Kraftwerk écrivait des chansons sur les voitures, pourquoi ne pas écrire des chansons sur les fax ? C’est ma vision de la réalité : si ça peut exister, alors autant tout faire pour faire en sorte que ça existe.

Le mambo en lui-même a quelque chose de moderne, d’artificiel, presque de futuriste.
J’étais au Mexique il y a quelques semaines, et j’ai rencontré un spécialiste du mambo qui m’a expliqué que quand Perez Prado a commencé à enregistrer dans les années 40 et 50, il voulait faire la musique du futur, et littéralement produire la musique des villes modernes, qui étaient en pleine expansion et qui étaient leur principale influence. On connaît mal cet aspect des choses, parce qu’on ne connaît que la deuxième vague du mambo, quand il a commencé à être manufacturé pour les occidentaux, surtout les américains. J’ai lu un livre cubain qui posait la question, « qu’est-ce que le mambo », et tous les inventeurs autoproclamés du mambo en ont une interprétation différente. Le cha cha cha est facile à définir : c’est un rythme. Pas le mambo : il y a autant de mambos que de morceaux de mambo. Il y a eu comme un geste de marketing inconscient, le premier jour où quelqu’un a crié le mot « mambo ! » : tout le monde le crie, personne ne sait ce dont il s’agit. C’est comme un geste pré-capitaliste instinctif : tu nommes la chose avant de savoir ce qu’elle est.

Il semble que la musique de Señor Coconut ne puisse pas se passer de la voix de Perez Prado : ta banque de samples de sa voix doit être gigantesque !
Je l’ai découvert petit à petit, et je n’ai réalisé que très tard que ses cris constituaient sa signature. Tout au long de sa carrière, il a utilisé sa propre voix comme un sampler. J’ai commencé la musique en manipulant des samples. Puis j’ai découvert cette musique qui avait soixante ans, et son étrangeté totale m’a vraiment frappé. Perez Prado était lui-même un personnage bizarre, pas très apprécié des gens qui le connaissaient. Mais sa musique est très fraîche, très drôle, beaucoup plus drôle que celle de Tito Puente par exemple. Je voulais prolonger cette signature, notamment en utilisant sa voix. C’est ma manière de lui rendre hommage, et de le projeter dans le futur.

Tu mélanges sans complexe les sons électroniques dernier cri et les textures anciennes des vieux disques des années 40, 50 et 60 : est-ce que tu vois une connexion logique entre ces esthétiques si éloignées ? Señor Coconut semble également exister pour cette seule raison esthétique.
Plonger dans l’univers sonore de l’exotica et du mambo des années 50 et 60 était très inhabituel au début des années 90, pour les musiciens électroniques, moi y compris. Je venais de la techno, de la pop électronique, ça n’avait rien à voir. La première chose qui m’a frappé quand j’ai découvert le mambo, c’était le son : je découvrais un nouveau langage, que j’avais l’impression de connaître depuis toujours. Je savais faire beaucoup de choses, je maîtrisais parfaitement mes machines, mais je n’avais aucune idée de comment recréer cette musique-là. Ce savoir-faire est littéralement en train de disparaître, pour être remplacé par des nouveaux savoir-faire, avec lesquels je suis en désaccord. Un technicien te dira certainement que nous allons dans la bonne direction, que le progrès est une chose positive, et que chaque révolution technique fait partie de ce progrès. Il n’y a qu’à regarder la résolution de la musique : on passe de 8 à 16 bits, puis à 24 bits, et ça semble naturel à tout le monde. Personne ne se pose la question de savoir si c’est une bonne chose que nos téléphones portables deviennent de plus en plus petit, ou si nos appareils photo passent de 3 à 12 megapixels… Mais si tu écoutes certaines musiques des - années 50, qui ont été enregistrées dans des conditions techniques que l’on considère aujourd’hui comme archaïques, tu réalise à quel point tout ça est faux ! Il suffit de s’arrêter une seconde, de respirer un grand coup, et de ne pas jeter quelque chose par principe parce que c’est le que le soi-disant progrès exige. J’aimerais que mes disques encouragent les gens à repenser à cette problématique : c’est un peu conservateur, mais ça ne me dérange pas d’être perçu comme tel. Le fétiche du progrès me fatigue. La musique devrait être un appendice à l’exploitation capitaliste, et c’est très triste : le monde de la musique n’est plus que styles et chiffres, une course à la nouveauté absurde. Je n’essaye pas vraiment de simuler le son du passé, parce que c’est impossible : ça demanderait toute une infrastructure qui n’existe plus vraiment, à commencer par la maison de disques. Je m’informe, j’apprends, et je me débrouille, je développe des techniques parallèles à ce qui est à la mode. Le plus important, ce n’est pas la technique : ce que les gens faisaient surtout à l’époque, c’était écouter la musique d’une manière différente. Quand tu vas dans un studio de mastering avec ton disque, l’ingénieur son va essayer de te convaincre de faire sonner ton disque de manière « contemporaine », et j’ai développé une allergie à cette esthétique, qui sera obsolète dans deux ans.

La chanson « MP3 », sur "Son of a Glitch" d’Atom TM, dans laquelle tu compares le déclin de la qualité du son au déclin de l’humanité, est donc à prendre au sérieux.
Oui, c’est même probablement les paroles les plus sérieuses que j’ai jamais écrites. Je n’en peux plus de ce qui arrive en ce moment à la musique. La qualité audio décline parce que nos valeurs et notre manière de consommer l’art déclinent. C’est très triste. En tant que musicien, ça me touche tellement que c’est insupportable : je dois faire avec, chaque jour qui passe. Je ne veux plus faire partie de ce monde. On me demande pourquoi je suis parti vivre au Chili, et c’est très simple : je voulais être dans mon coin, pour qu’on me laisse tranquille. C’est ma lutte : me désolidariser autant que je peux du reste du monde. C’est la seule manière de ne pas devenir fou, corrompu, ou les deux.

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