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jeudi, février 17, 2005

lausanne, snoqualmie

Mes mains se souviennent mieux que moi des interrupteurs, surtout celui qui se cache derrière le petit buffet de la chambre
Sur un présentoir, tous ceux que je connais à peine foulent les décors de mon enfance
Le sourire de Tsipora est exactement le même que celui de Sophie
Sa fille a le visage à peine terminé, je la trouve déjà laide
Il y a de l’autre côté de l’avenue enneigée ces maisons qui me faisaient visiter Chicago, je ne veux pas en savoir plus
Tout est blanc depuis ce matin, tout a été préparé pour moi

Cette nuit sur un banc j’attendais que ses grands yeux me demandent que déguerpir, au réveil, je continuais tout seul «j’ai compris tu veux que je m’en aille, tu attends quelqu’un » et elle me répondait « mais non, reste », mais c’est moi qui décidai en fait

Je me suis branlé, en rêve, en pensant à Kristin, à son air doux, à ses yeux vitreux, à son accent herbeux

Un groupe de black metal passait des disques de post-punk et j’étais déçu
Je passais d’un scénario à l’autre en glissant, tout doucement
Je ne voulais pas me lever
Les petits chocolats de hier avaient le goût du beurre rance
Elle est fatiguée de sa semaine
Mon nom veut dire le monde

J’ai oublié le nom de mon hollandaise, je me rappelle pourtant son goût

Sur le balcon il y a même du soleil qui rampe

J’avais tort de me faire du souci pour le bas de mon pantalon
Je cherche quelque chose de mieux à dire que « le lac est magnifique dans le blanc le jaune le bleu » mais je ne trouve pas c’est simplement beau, abrutissant, l’enfer est pavé de bonnes intentions

Sur les photos, nous étions un couple et mon visage n’avait pas vingt ans

Le ciel est immense métallique est chaud

L’air se tient en équilibre, tout juste à zéro

Quand je monte il me porte morte, quand je descend il me gifle

À choisir entre faire du boucan ou en foutre partout autour je n’ai jamais su faire mon choix

Je n’ose pas lui montrer les photos que j’ai prises d’elle à l’automne

La pente à l’Ouest est recouverte de givre chaud tandis que sur les bords du lac la ville disparaît dans l’anonymat

Quand on évoque un passé presque lointain les images sont toujours les mêmes
Ils existent pourtant ces visages burinés, ces contours d’yeux noircis
Fanny ressemble à une gravure de cinéma, ses dents étincellent entre les contrastes appuyés de son visage. Je lui dit, elle hoquette de plaisir. Ma grand-mère était une jeune fille magnifique. « C’était à Chamonix », dit-elle, pointant sa mince silhouette émergeant d’un champs de montagne. Derrière, c’est un havre de paix. Puis défilent les petites compositions parfaites, la boucherie de mon arrière grand-père, avec ses assistants, sa voiture, son angle de rue fier, bien avant sa chute, son suicide jamais déclaré (mais Fanny ne doute pas, on ne tombe pas comme ça dans un lac), mon arrière grand mère, rustre mais ironique, les épaules si larges, Fanny, Jean, jumeaux, Jean est toujours caché, comme ses yeux perdus dans son regard perçant, asiatique, et puis c’est presque tout pour cette époque-là (en regard, il y a bien le grand-père inconnu, en jupons, ses deux jumelles au regard pointu, et puis l’évocation furtive, mais qui se répète comme une litanie abandonnée, sans affect, « son mari et ses deux fils sont partis au camp », « son frère est parti aussi », et puis j’apprend que le père de ma mère n’a été sauvé que parce qu’il finissait son service militaire quand la guerre a commencé, il était français et pas suisse, il a passé sept ans en camps de travail, comme un miracle), après il y a le travail au Bon Génie, la guerre qui passe presque tranquillement, et je ne saurai jamais ce que Fanny savait et ne savait pas, elle avait dix-sept ans et son père était mort, elle travaillait sagement, elle était en Suisse, et Jean était parti à Zurich, il travaillait déjà pour Manor et aujourd’hui encore c’est un mystère, pourquoi personne ne se posait les questions, et puis il y en a d’autres, sa première femme, laide et bigleuse, mais pieuse, pour faire plaisir à la mère (j’aime qu’il ait trouvé Rachel, catholique et aimante, après), et le mariage presque arrangé de Fanny, et quinze années de bonheur accidentel, et pourquoi, après sa mort, elle n’a jamais, jamais envisagé l’amour à nouveau, pour ne pas abîmer ma mère, pour ne pas abîmer mon oncle, mais ils sont déjà tout cassés, il me semble, pourquoi passer à côté, et ça me revient, ce cahier de dessins, ces dessins d’enfants, datés de 1934, 1935, ces petites merveilles à l’encre de chine (« c’était la mode »), ces dédicaces brûlantes, Rose-Marie Eggmann, Claire-Lise Vannier, Lore Kappel (en allemand), Lucien Marx, son papa (oh il faut voir ce dessin fragile, une fillette qui porte un bouquet de traits gribouillés et hâtivement colorés en mauve), « je les vois en face de moi » me dit Fanny, ma grand-mère, et évidemment, une petite Simone Bloch, « souvenir de ta petite cousine », à Genève, Septembre 1934, deux chats soulignés « deux petits amis », « elle est partie au camp », et puis c’est presque tout, Fanny ne s’appesantit même pas une seconde, elle me montre les photos de son mariage, je lui demande, « il aimait beaucoup les lunettes rondes », et c’est vrai qu’il a toujours, sur les photos, les mêmes lunettes rondes, et elle me répond, comme pour être sûr qu’il ne s’incarne pas, « c’était la mode ». Ensuite c’est le train des vacances, Montauban, ma mère, petite, espiègle, magnifique, les oncles qui passent, les cousins que je connais à peine, les parents vite disparus de Jeanne et Eliane, les remariés (« celui-là il avait perdu sa femme et ses deux enfants »), on cherche en vain la fêlure sur le visage des vieillards. Et puis Fanny est fatigué, il y a un ce sac en plastique noir plein de souvenirs pivotants, de parents sans accroche, d’inconnus accidentels

Pendant ce temps-là je lis ce livre, « Set This House in Order », de Matt Ruff, qui raconte les aventures presque exclusivement rentrés de deux personnages la tête pleine à rebord d’âmes, atteints du syndrome de la personnalité multiple, comme une aventure à rebours. La narration est fatalement empreinte de fausse naïveté, Ruff, ou son personnage, Andrea Samantha Gage, obsédés par l’idée qu’on comprenne tout parfaitement, les mots sont toujours les plus mal choisis, et pourtant, la folie se déploie bien, activement, effectivement, et on la suit, on serpente avec elle, gentiment cahotés par les doux remous de l’aventure. C’est tout simple, une illustration littérale du principe de multiplicité, il y a ces deux personnages, Andrew-ea et Penny-Souris, qui sont deux multiplicités effectives, deux schizoïdes au fonctionnement si simple, dans la valse des âmes, qui se rencontrent et se trouvent un instant en péril parce que l’un veut aider l’autre, l’un range ses hommes et ses femmes dans une petite maison, l’autre se retrouve au fond d’une grotte quand l’un d’entre elle veut aller devant, il y a Platon, Deleuze et Guattari, Agamben, je le jure. Andrew est homme et femme, enfant et pervers, lui et d’autres. Ce que j’aime, c’est qu’au-delà de l’action morne, des pénibles histoires secondaires, de la fatigante envie de Ruff de tout rendre limpide, des terribles cent dernières pages et leur intigue comme un épisode d'une vieille série des 70s, il y a les vraies folies de l’entreprise qui font tout le temps valdinguer l’histoire. C’est un doux manifeste, que cette petite œuvre, qui tapisse légèrement mes arrière-pensées quand je descends vers le lac, à peine engourdi par la neige et le vent glacé.

J’ai voulu voir tous les recoins, ne pas repartir déçu

Quand je reviendrai je serai de nouveau chez moi.


A. s’enfonce encore dans les replis de son corps minuscule elle m’a amené des chocolats je les ais mangés jusqu’à m’en rendre malade puis je me suis assoupi. Dans mon rêve Achab chassait son je et le perdait à tout jamais

Je l’entends tousser et j’ai peur pour son tout petit corps, en équilibre au-dessus de zéro

1 commentaires:

À 2:33 PM , Blogger Sébastien M. a dit...

A nice report, indeed. You should write more that way, but it certainly depends of events...

 

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