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mercredi, août 29, 2007

it is a tendency written into the very structure of matter



Sur du papier journal. Shelley Jackson est née aux Philippines en 1963, elle a un très beau nom sûrement moins accidentel qu'il n'y paraît. Elle a été mariée une décade à Jonathan Lethem, elle a étudié avec Robert Coover, elle a le mot "skin" tatoué sur l'envers du poignet. Elle dessine pour ses enfants, pour illustrer ses livres et ceux des autres, elle écrit pour ses enfants, aussi pour ceux des autres, sur le papier, dans l'éther des uns et des zéros, sur la peau de 2095 volontaires, et son premier livre, Patchwork Girl, n'en est pas un, puisqu'il étend simultanément, dans les liens infinis de son hypertexte storyspace©, le monstre de chair de Mary Shelley et la meuf de guenilles de L. Frank Baum (papa Oz). Sur son site grouillant, elle parle sur de la musique trop aimable. Elle aime Tristram Shandy, "Motorman" de David Ohle, Flann O'Brien, Djuna Barnes, les Moomins, elle dit s'être tourné vers l'hypertexte parce que son esprit "ne voyage pas en lignes droites, et que (ses) histoires non-plus", mais, c'est une évidence, ça ne saurait expliquer l'étrangeté totale, brûlante, de son oeuvre rampante, follicule, désarticulée, dont je n'ai pu que renifler les prémisses imprimés, ici, son recueil hyperdense Melancholy of Anatomy (et, ici aussi, bientôt, son premier roman de papier, Half Life). Elle explique, "dans The Anatomy of Melancholy, Robert Burton tente l'anatomie d'une condition spirituelle. Dans The Melancholy of Anatomy, j'essaye de faire le contraire: spiritualiser l'anatomie", et aussi, "le corps est l'objet magnétique originel, il possède à la fois une physicalité guindée, et une vie métaphorique, et généralement, on passe de l'une à l'autre sans y penser", mais ce n'est pas encore assez pour décrire, expliquer, situer ce que fait la lecture des objets littéraires de ce livre important, sur la tête, sur le langage, sur l'imaginaire: de la chirurgie contre-nature, de la génétique immonde, de la métastasie, de la magie pure (on ne ment pas, Jackson a illustré le Magic for Beginners de Kelly Link ) où le réseau des imaginaires, des associations d'idées, des métaphores qui font le tissus notionnel des objets du corps (cheveu, nerf, sang, sperme, oeuf), mais aussi ceux qui le pénètrent (vibro), le dévorent (cancer), le précèdent, l'habille (flegme), le nourrissent (lait), le reposent (sommeil), s'emmêle et fait s'écrouler le réel comme un château de cartes.

Il existe, il me semble, un précédent important, Ben Marcus, The Age of Wire and String d'abord, Notable American Women ensuite (il y a lien en croix, par holy Ohle), et j'avais évoqué l'année dernière pour le travail (Chronicart#31), à la parution de la traduction de ce dernier, "une mise en péril du langage tout entier (...) à l’œuvre dans l'écriture (de ce) véritable inventeur lexicologique qui use et abuse des mots pour faire vaciller jusqu’à la distinction entre certains signifiants et signifiés. Rigoriste et virtuose, Marcus fait tenir ses mécaniques casse-tête impossibles à se signifier - comme le Big Bang, l’inimaginable selon Marcus n’a de sens que pour le lecteur quand ce dernier est collé au texte – dans de fastidieuses descriptions glacées, folles à lier, et pourtant rendues totalement plausibles par la grâce d’une langue à laquelle rien ne semble impossible. Obsédé par la bouche, appareil oratoire, orifice d’ingestion, il confond mots et nourriture physique, langage et bruit, le palais, le ventre et les poumons et les armes à feu. Le langage est le matériau magique d’une formidable invention de récit, à la fois abstraite, théorique, et complètement incarnée et plausible" mais Jackson procède autrement, moins librement peut-être, puisqu'elle manipule, découpe, mute et greffe, tout de même, des résidus de métaphores gigotantes, puissantes, avant d'observer les effets sur les contextes qui en souffrent les cruelles conséquences, et les histoires qui y naissent (il n'y a pas que des propositions scientifiques, à l'instar de "Milk", qui s'insérerait sans problème dans les définitions de l'Age of Wire and String, il me semble, il y a des coeurs qui battent, des noms, des personnages qui oeuvrent ici).

On parlerait, si on avait des références, évidemment de réalisme magique, mais on en a peu, on fera donc bêtement le tour: les coeurs, "dirigeables sombres", s'étendent comme des trous noirs, exhalant des lumières invisibles, le sang s'écoule en déluges menstruels du corps de la ville de Londres (et des égouttières tampons Tampx deviennent des héroïnes improbables), les foetus forment une peuplade inespérée qui sauve des hameaux misérables de leurs sordides historiettes, le flegme est une substance aqueuse extractible des corps, empaquetable et recherchée, et s'il faut du temps pour reprendre son souffle à chaque in medias res qui nous lance dans le tissu mutant de chaque histoire, Jackson développe ses dérivés de réel avec une maestria de langue, de vista, tout à fait saisissante de précision, enroulant, la tête froide, dans des midtempi possédés, mots rares, poussés, précieux, délicieux, exposant la redoutable fantaisie, possédée à pleines mains, en rêves clairs, brillants, décrits juste sous l'oeil, soupesés avant manipulation,

The electrician and I go to bed again. We toil, and produce a scant dram of goo, a sorry gob. We start to play with it. It gets all over me. ("Phlegm", 105)


et la fantaisie sans gond, sans contexte, sans horizon-limite, devient juste échappée sauvage, à suivre sans a priori d'effets de réel, quand les mots et les idées, comme chez Marcus, sont vidés, suçotés de leurs signifiés, extraits des nuages de notions qui sont leur territoire, pour être mâchés, remâchés, recrachés en bouillie brûlante, puis redistribués, remélangés, tordus, reformés dans des surréels hyperdenses, hyper étranges, autosuffisants, métaphores en dérivation d'elles-mêmes, peu aimables, et je pense à cette nouvelle très aimable d'Aimee Bender, "Dearth",dans Willful Creatures, où une femme adopte plutôt malgré elle des patates-enfants, mais la fantaisie était pure métaphore, drôlatique puis dramatique, germe d'émotion à épanouir dans les dernières lignes, forcément chavirantes, bien intentionnées, un grand sujet à excaver d'entre les lignes, quand la fantaisie de Jackson ne reflète rien sans le modifier, ou plutôt, ne s'insère dans rien, car elle n'a besoin d'aucun mythe pour respirer et faire tourner, dans le vide, les synapses. Un exemple, un seul,

Sleep sometimes coagulates in the shapes of animals: bruin and bunny are the most common, though I have seen sheep and cows as well. These form naturally, like snowflakes. Under favorable conditions these sleep-sheep "stalk the earth", the colloquial term for wafting or "mere wafting", as O'Sullivan pointedly calls it, eschewing what he call "the credulous jargon of simpletons and charlatans." He is practically alone in his refusal to see familiar forms in sleep, of course. Animalcules take shape in every substance known to us; it is a tendency written into the very structure of matter, a statistically significant swerve toward animaloid structures, especially cute ones. The universe, we now know, is far from that chill mechanical model so unaccountably adored by physicist past. The world that gave rise to feathers, pill bugs, cookies, and whales is silly, showy, comfy. Above all, it is kind". ("Sleep", 128)
qui ne suffira pas à faire vibrer les bonnes cordes, allez voir ce que la tête et l'épée peuvent faire dans les bonnes pages et les bons interstices. Je crois, à cet effet, que la traduction en français, au Lot 49, est imminente.

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