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jeudi, septembre 04, 2008

on the last frontier of our sex lives

Sacrée Laura. Foutue Laura. Connasse. Trois semaines, deux semaines, deux jours, deux heures, comme si j’avais pas assez veillé dans le gris d’août à paris, comme si j’avais pas assez pondu de personnages chelous dans mes cauchemars (le dernier cette nuit, j’en ai tremblé pendant dix bonnes minutes en tortillant dans mon pieu détrempé : un gros vieux, très laid, refluant un fumet immonde de métal, a débarqué chez moi depuis une échelle posée contre la fenêtre, accoutré en bleu de travail, le torse recouverts de petits outils dégueulasses et de collets corrodés, et il n’avait rien à faire là ; mais c’était un rêve, il n’avait pas l’air mauvais, il avait simplement l’air vieux, obèse, et perdu, le regard rebondissant dans la confusion paraphernale de mon appart en trucs de songe, et je n’ai pas paniqué, et je l’ai attrapé à l’épaule comme un vieil ami et je l’ai interrogé, et il m’a répondu quelque chose de flou, et il m’a menacé, il s’est emparé de mon ordinateur, il s’est emparé d’une encyclopédie, je lui ai refilé un téléphone cassé, je l’ai repoussé jusqu’au fond du couloir de l’entrée, je l’ai fait glisser sans un effort, hurlant à ma mie d’amener la clé, mais déjà une feuille de papier rampait sous la porte, « couic, je t’avais prévenu », et en un instant, il était déjà en train de pénétrer dans l’appart d’à côté - l’existe pas en vrai - par la fenêtre, sifflant un étrange vent saumâtre comme dans le Body Snatchers de Ferrara, et je peux vous affirmer que c’était terrifiant, sans que j’ai besoin de me l’expliquer, je crois bien qu’il avait un grand chien bleu à ses côtés, qui sifflait aussi vilement sans perdre son air aimable et volubile, foutu chien bleu) ; la voilà qui me mate, depuis sa grosse tranche, et sur l’envers bombé sans que je m’en explique la raison, les pages s’agglutinent dans un espace courbe, comme une boite de conserve empuantie en son dedans. Oh, je ne parle pas de la mémère mutique, pouparde, vaporeuse qu’on a fait figurer sur le devant du bouquin mèche en avant, paumés dans des froufrous rayés de bagnarde en carton, je ne sais pas qui elle est, mais je sais qu’elle n’est pas Laura – Laura est maigre comme un clou, elle pue un peu, Laura s’habillerait probablement en Gap en seconde main, Laura n’est pas pouponne elle vous jacte à la gueule ses vérités, et si vous avez un cœur, il y a des chances que vous repartiez l’ego entre les jambes. Mais vous vous demandez, si vous ne rentrez pas à l’instant d’un banquet trop arrosé, qui est-elle, Laura, et qu’est-ce qu’elle a de si spécial pour qu’on en cause et qu’on en cauchemarde ?

Laura, c’est un grand personnage. Un des plus grands que j’ai eu la chance de voir exister et d’entendre râler, de sentir discourir depuis des lustres. Elle vibre contre le monde de Laura Warholic, le huitième roman publié du plus insatiable misanthrope des Amériques Alexander Theroux qui porte son nom de femme mariée/divorcée, immense satire ; son nom de jeune fille est « Shqumb » (origin unknown) et sur l’armoirie que lui ont brodé ses deux anthropologues galants (Alexander, transi, et son héros Eugene Eyestones, passionné) on peut lire « Laura Shqumb, certifiably insane », ce qui est très vrai et très faux, aussi : Laura Warholic est une satire terrible de notre univers insane, et à ce titre, Laura est très loin d’être la pire du lot des femmes, des hommes, des animaux, des juifs, des noires qui l’entourent. Pathétique, infamante, laide à faire pâlir un corbeau ou un obèse, elle est tout ça, elle mérite pourtant intarissablement notre amour et notre tendresse, et, pourquoi pas, nos caresses, nos mots doux, ou comme hulule sans cesse Jim le nègre à Huck dans la résurrection de ses aventures par Bernard Hoepffner, des ‘tréso’ » adorables à tous les coins de phrase. Elle empile les crasses et les injustices, et n’en admoneste certes pas moins à ses amis et ses ennemis et ses amours (c’est dur de faire la différence parfois) – à ce titre, on l’étalerait bien quelque fois d’une mandale avec un poing américain enroulé autour des articulations – mais Theroux le chiale lui-même, « how sad it is that we must suffer in the very place where we love », et inversement, b-u-d-d-y, inversement. Laura, c’est nous tous, et on a beau traverser la vie en s’infligeant des misères, s’étreindre les uns les autres, c’est tout ce qu’on a.

L’histoire (la guerre sur terre) tient sur une quatrième de couverture, mon confrère Fausto a fait ça très bien, je lui emprunte - « Eyestones, érudit vieille mode, vétéran du ‘Nam et journaliste improvisé écrit chaque mois une colonne très controversée sur le sexe pour le journal d’un certain Warholic, gros porc et fier de l’être. Il se prend de pitié plus qu’il s’éprend de l’ex-femme de son patron, laide, infidèle, conne, menteuse, sale. Il veut l’améliorer mais à travers ses propres défauts, c’est impossible ». Theroux résume autrement à la page 60 : « Hell had a way of showing up in the strangest images » et il n’y a pas beaucoup plus à en dire, ou alors il faudrait extraire des highlights des monceaux de détails délicieusement douloureux maugrées par la narration-champignon, des visites, des repas, des dialogues de sourd à deux (Laura et Eyestones), des dialogues à plein (tous les journalistes de la foutue revue du gros Warholic-et-ses-deux-pétasses, incroyable bestiaire malodorant qui est la seule alternative aux mille variations sur la maigreur de serpent de notre Laura, beuglent comme des doyens d’université/des académiciens/William Frederick Kohler et sa maison-tunnel - quand on y pense, "warholic" et "kohler", junkie du conflit et colère, c'est presque la même chose -, la bave du crapeau et le racisme crasse en plus dans le fond de la gorge) des voyages, des errances, des repas, des célébrations, tous à contre-cœur dans le maillage de la surface, tous en plein-cœur dans les profondeurs, ces millions d’instants de perte pure qui font le récit - et ça ne rimerait à rien. Ou plutôt : j’en serai bien incapable, tout englué que je suis dans le paradoxe qui vibre à la base en bois du bouquin, cœur sanglant qui n’a peur de rien pas même de s’inoculer la peste de médiocrité qu’il cartographie obséquieusement. Dieu merci, je ne pourrai pas écrire une seule phrase d'explication psychanalytique à son sujet, puisque tout est déjà disséqué, sous-titré, redoublé en commentaires par Eyestones, ses collègues et T. soi-même (souvent, on entend presque un « je » dans la phrase) en avalanches de références en miroir dans les étagères et les tiroirs en carton, zoologiques, biographico-littéraires, historiques, anhistoriques, dans le tissus de nota bene farfelues, de notes de bas de page toujours décemment tenues au centre, de répétitions-mystères (la maladie guette), de questions rhétoriques par nuées, poudre de savoir en gravier ou en suspension, espace cognitif évident, vibrant (la fibre moderniste), génie d’invention fabuleusement arrogant, moins celui de l’intellectuel Eyestones (« be nonchalant, he thought, light a Murad ») que de l’écrivain soi-même et qui semble admonester son savoir et sa prescience infâme du monde moderne depuis sa chaire dans le ciel, en flagrant délire de sauvagerie encyclopédiste, comme d’autres tenteraient une greffe aventureuse ou un coup de glaive dans l’occipital. J’aime cet exemple qui en dit beaucoup, sur sa langue extralucide, et beaucoup sur notre Laura :

After only a few days of knowing Laura, Eugene had heard it all. She who had arrived in Boston with a numbing sense of her own lack of direction had spent more than a decade doing virtually nothing but looking for a man. Boredom is a form of anxiety. He could see that, as with all the bored people she constantly fled from herself. She liked music. She came from upstate New York. Her parents had divorced when she was seventeen or so. She once owned a dog. She like to wear tiny rings. She did not drive. She read to no consequence. What about growth ? Self-knowledge ? Rebellion ? Had she never moved with Piagetian inexorability into a rebellious phase – even young Communism – that might lead to finding herself ? She was nidifigous, he knew, from several icy references she made with irritated references to her mother. He knew more. She had done virtually nothing with her life since having graduated from college but aimlessly knock around, occasionally doing part-time work in business offices like typing and filing or taking entry-level jobs for a month or two at tech companies with farcical futuroidal names like Plastrix, Bulbtech, Radiotron, Arbitron, Datagen, Cyberthon, Earthtek, Unistrobe, Morphonetics, Tubestron, Pixilonics, Quitrol, Calistics, Doltbole, Supprexs, Megacube, Softknot, Compudyne, and Vaginocon, places that made things like electronic gizmos and alphanumeric geegaws, soulless, antiseptic firms that in their mad drive for more production had spent years hiring aggressive professional « facilitators » with theories of innovative management and team-building who, breaking low echelon workers down into desperate little groups, on one or two weekends a year in remote, rustic locations, cheer-led them on with rythmic handclapping and robotic phrases, like « Let’s acknowledge ourselves ! » and « Capture that flip chart ! » and « Renew profile day ! ».
ou quand il nous inflige une délicieuse liste de gravats de Chick Lit porno au rabais ("Shopping and screwing novels as Discknickers called them") dans lequel il conviendra de dénicher l'intrus (?) :

Kiss My Fist, Pit Stop Nympho, Shameless Honeymoon, Sailor's Luck, I Married a Dead Man, Mattress Lunch, Muscle Lover, Tamed Warrioress, Slave Beauty, Glass Dildo, Sheikh of the Desert, Gravity's Rainbow, Nora's Purple Cushion, Princetown Moon, Drowsy Mall, Dale's Three Husbands, Raoul's Passion, Heroine Hedy, and Polly's Millionaire boob, stacks of them, all with irridescent covers exclusively written for those forty millions women in America on the last frontier of their sex lives.

La quantité et la qualité sont prodigieuses, on l’a compris ; l’esprit qui les arrange ne l’est pas moins, emprisonnant le grain tel quel dans son faisceau vibratoire, chercheur, prismatique, opérant en baume de gluten sur l’âme du lecteur avide, la délivrant à l’envie de quelques méchants faits de notre décadence (l’ignorance ou McDonald’s), et forçant l’oscillation du livre sur son sujet propre, le sexe, l’amour, le sexe sans l’amour, l’amour sans le sexe, et tout, tout, tout, tout, tout, tout ce qui peut s’y rapporter et s’y rapporte effectivement depuis les bas-côtés de l’insuffisance anthropologique, l’étroitesse, l’hypocrisie, la frustration, l’imbécilité (sous toutes, toutes ses formes), la haine de soi et la haine des autres, largement concomitantes, les odeurs corporelles, les moments d’embrassement sur la place public (si je devais résumer Laura, j’écrirais : les phéromones et l’embarras) à savoir, un club minable de punk rock remplis jusqu’au plafond de sueur et de rock emo de merde ; sur le mépris viscéral de l’Amérique au présent ; sur la démocratie et l’humain ; sur la mort de la démocratie (ironie en vol de vautour, enquête éblouissante), et évidemment, Laura, c’est l’Amérique qui plonge dans le néant – « we are boastful, parochial, jingoistic, infantile, ernest, decaden, poorly read, loud, and self-indulgent beyond measure » ; les matières, les dépressions, les humidités, la spongiosité des corps et des cheveux, les topographies fabuleuses formées par les emplacement des orbites oculaires sur les visages : on se touche en rêvant mais on imagine sans effort notre Theroux furieux, avachi dans une nervosité intense, scribbler comme un dératé ses litanies infinies sur les juifs, les irlandais, l’injustice des dieux (il faut apprécier l’incroyable diarrhée qu’il nous inflige après la mort atroce de deux gredins, pas plus méritants des sévices atroces qu’on leur admoneste que leurs immondes collègues, qui précisent bien après 45 pages de fureur haineuse, quand on leur rappelle qu'ils sont à un enterrement, "it is just so, except that in this instance we bury everybody, it's part of the ritual"), redoublant sans cesse son ultraviolente misanthropie en amphitryon de l’instable amorale, félibre nietzschéen (il cite plus souvent Cioran mais il lui aurait certainement montré les dents), miniaturiste enragé (on le sait, son horizon, ce sont les dessins d’Edward Gorey, sur lesquels il a largement écrit dans The Strange Case of Edward Gorey), pressé de faire dire à ses soldats (nous autres, lecteurs) « c’est un pourfendeur de pitié », comme il concentre dans son encre saumâtrissime toutes les aversions crasses de l’humanité en tourbillon, tout ce qu’on pourra dire de pire d’un juif, d’un catholique, d’une pute, d’une call-girl, d’un raté, d’un mathématicien, d’une lesbienne, d’un nain, d’un handicapé, d’une face, d’une difformité, d’une noire, d’une galaxie : usine à fait douloureux, Alexander, vrai « enfant terrible », ne profère que des horreurs, mais ne profère que des vérités. On s’est demandé à droite à gauche si le livre était une grande chose, si c’était un chef d’œuvre ; la vérité à son sujet, Theroux ne cesse de nous l’écrire dans les oreilles, puisque chaque phrase du livre est un chef d’œuvre, tout en tapageant son inanité morale, en saccageant lui-même à grand renfort de lazzi juvéniles les fondations de la Grande Oeuvre dès qu’elle prend de la hauteur : tout concourt, depuis la beauté fatale de la langue jusqu’à l’ahurissante virtuosité de sa dérision, a nous faire brailler au chef d’oeuvre, et l’expérience de lecture est la plus belle qu’on nous offre depuis une éternité - tout, tout, sauf les extrémités, sauf les angles morts, qui impriment un sentier d’écharde le long du corps au fur et à mesure qu’on se cogne le pavé. Enfin, il nous faut spoiler pour expliquer : Theroux sacrifie salement, pour de bon, la seule capable de faire vaciller son projet, de faire vaciller Eyestones l’érudit de l’amour et des humanités sur sa vérité, le force, impitoyable à se casser le savoir sur Laura le trou noir, certifiably insane effectivement, un gros œil qui clignote au milieu du front dans un petit monde à x12 dimensions, à poser par terre son gros fardeau judéo-chrétien, "He relented because some dunce wrote a book When Bad Things Happen to Good People when the fact remains - literally, ethically, theologically - there are no good people, for we are all sinners and wretches in need of grace".

Tout portait à la haïr, à la violenter pour sa gueule et ses débilités, pour la manière dont elle incarne dans l’infini de sa chair et en toute complaisance l’arc-en-ciel de notre médiocrité, mais le cœur ne s’y résout jamais. Pire encore, il l’aime : elle était notre salut. Foutue Laura, te voilà crevée, et tout ce qu’il nous reste c’est le monologue. Je vous laisse avec Theroux lui-même, qui cause au téléphone de Shakespeare ("he probably had a bland personality") et Cervantès et Hunter Thompson ("you have to look at him to hear real cruelty") et lui-même ("I think it's a very important novel"; "my point is: satire is savage"), et j'en remets une dernière couche: LISEZ LAURA WARHOLIC vous ne lirez rien de plus édifiant (c'est le mot préféré de ma mie) en ce millénaire.

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